Smokin' Joe, Joe la Locomotive. Tout est dit dans ce surnom. Celui d'un boxeur que rien ne désignait à être champion. Mais à force de courage et s'appuyant sur une volonté à toutes épreuves, Joe Frazier a décroché le titre mondial en livrant des batailles d'anthologie qui lui ont permis d'entrer au panthéon des poids lourds.
Joseph William Frazier est né le 21 janvier 1944 dans une exploitation agricole de Beaufort en Caroline du Sud. Il est le onzième des douze enfants de Dolly et Rubin, un métayer qui reçoit rapidement l'aide son fils, âgé de sept ans, à la ferme. Car Joe n'aime pas l'école. Il est un enfant précoce, marié à 15 ans, qui décide de s'établir
avec ses frères aînés à Philadelphie. Employé dans un abattoir, il travaille ses crochets en frappant sur des pièces de viande. Frazier vient de découvrir la boxe par accident, en entrant dans une salle de gym pour y perdre du poids. Il a 17 ans et est père de deux enfants, son ainé Marvis et sa fille Jacqui qui lui succèderont plus tard sur le ring. Yank Durham voit en lui un talent. Cet entraîneur le convainc d'entamer une carrière amateur. En peu de temps, son élève devient l'un des meilleurs poids lourds américains. Pourtant lors de la qualification des Jeux olympiques de 1964, il s'incline devant Buster Mathis. Mais, victime d'une blessure, ce dernier doit décliner la sélection. Frazier est appelé pour le remplacer à Tokyo. En finale, il bat l'Allemand Hans Huber et décroche l'or malgré un pouce cassé.
Il passe professionnel l'année suivante, même si son œil gauche est touché d'une cataracte. Managé par un syndicat d'hommes d'affaires blancs, appelé Cloverlay, il débute le 15 août 1965. Bien qu'on le croit trop petit (1,82 m) pour faire carrière chez les lourds, Frazier affiche un palmarès de 11 victoires par KO en un an. Il signe son premier coup d'éclat face à Oscar Bonavena en septembre 1966 au Madison Square Garden. L'Argentin l'envoie à deux reprises au tapis. Mais avec
|
un courage et une détermination qui marqueront sa carrière, il s'impose au terme des dix reprises. Eddie Machen (arrêt 10e), Doug Jones (KO 5e) et George Chuvalo (arrêt 4e) font ensuite partie de ses victimes. Sa technique est rudimentaire, mais il transpire de sa silhouette voutée une énorme puissance. Il boucle l'année 1967 avec un palmarès de 19 victoires (17 KO) et est désormais challenger mondial. La radiation de Muhammad Ali, pour son refus de combattre au Vietnam, oblige la NYSAC (la commission de New York) à organiser sa succession en mettant aux prises les deux ex-rivaux amateurs, Frazier à Mathis (son seul vainqueur, à deux reprises, lors de ses 40 combats amateurs), le 4 mars 1968 pour l'inauguration du nouveau Garden. Cette fois, Joe se montre le plus solide, malgré son déficit physique, et oblige Arthur Mercante à arrêter son adversaire au 11e round. Quatre autres états reconnaissent cette victoire, mais il lui faut battre le champion WBA Jimmy Ellis (aban. 5e) pour unifier le titre, le 16 février 1970.
Un homme vient alors contesté sa supériorité. Muhammad Ali est de retour sur le ring après trois ans d'absence. Les autorités lui accordent une licence et, sans le savoir encore, donnent le coup d'envoi d'une trilogie qui marquera de l'histoire. Le premier acte a lieu le 8 mars 1971 au Garden. Trois cents millions de téléspectateurs sont devant leur petit écran. Le champion envoie Ali au tapis dans la 15e et dernière reprise sur son célèbre crochet gauche et s'impose aux points. Ali veut sa revanche, il devra attendre. Car un troisième champion olympique entre dans la course au titre mondial. George Foreman est invaincu après 37 succès, dont 30 dans la 1er reprise... Joe Frazier ne peut échapper à la puissance du phénomène. Le 22 janvier 1973 à Kingston (Jamaïque), Foreman l'envoie à six reprises au tapis avant qu'Arthur Mercante mette fin à son calvaire après 1'35'' dans le 2e round. Pour Joe, cette défaite est une humiliation. Il entend laver l'affront lors de la revanche contre Ali. Le 28 janvier 1974 sur le ring du Garden, Joe va au sol dans la 2e reprise et perd aux points. Le vainqueur gagne le droit d'affronter Foreman.
Alors qu'Ali réalise son plus bel exploit en détrônant le champion à Kinshasa, Don King ne rate pas l'occasion de lui opposer Frazier une troisième fois pour «Thrilla in Manilla» aux Philippines. Une soirée mémorable où Ali dira «avoir vu la mort». Smokin' Joe l'oblige à repousser les limites de la souffrance. Mais c'est lui qui reste dans son coin à l'appel de la 15e reprise sur les injonctions de son coach Eddy Futch: «Reste assis, personne n'oubliera que tu étais sur le ring ce soir.» Deux heures après le combat, Ali sort de son vestiaire, le pas lourd. «C'est fini entre Joe et moi. Nous avons réglé nos comptes.» George Foreman accepte lui de retrouver Frazier. Pour cinq rounds et un nouveau calvaire enduré par Joe. Au soir de ce 15 juin 1976, il annonce la fin de sa carrière. Son come-back, tenté fin 1981 lors d'un match nul contre Floyd Cummings, ne l'encourage pas à poursuivre. A 37 ans, Joe raccroche définitivement après avoir livré 37 combats (32 victoires dont 27 avant la limite, 1 nul et 4 défaites). Devenu une légende, il s'est éteint à l'âge de 67 ans, victime d'un cancer du foie.
|